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A propos

Mes œuvres numériques explorent un entre-deux entre la peinture et la photographie. On pourrait les appeler tableaux photographiques ou photographies picturales.

En utilisant ces deux praxis, en les unissant dans une même création, je cherche à amener le spectateur dans un espace perceptif où il se posera la question des regards bien différents que nous posons sur la peinture et la photographie.

Une photographie est constituée de pixels et une peinture de touches. Le propre d’une photographie quand on l’agrandit énormément est de présenter un brouillard de pixels ayant des valeurs colorées très proches les unes des autres sans être tout à fait identiques.

Aucun peintre n’a évidemment jamais peint comme cela – sauf les peintres hyperréalistes qui se sont amusés à recréer des quasi-photographies en s’aidant de projections et d’une grande maitrise de l’aérographe dont le procédé de dispersion de la couleur est très proche en rendu du ‘’brouillard de pixels’’ de la photographie. Ce qu’un peintre fait – disons pour tous le corpus de la peinture figurative, académique, naturaliste, voire impressionniste ou expressionniste – c’est de poser une touche de couleur d’une taille plus ou moins grande en fonction du détail représenté. Mais cette touche est toujours bien plus grande que le pixel, même pour des artistes comme les maîtres flamands dont les touches semblent presque invisibles grâce à l’utilisation savante des glacis qui les ‘’fondent’’ par superposition. Même en considérant la peinture la plus naturaliste possible, un tableau n’est jamais peint pixel par pixel mais bien touche par touche (y compris le pointillisme de Seurat).

Mon travail consiste donc à ‘’dé-pixeliser’’ mes photographies originales en substituant à la matrice de pixels une organisation de touches. Cela ne veut pas dire qu’il s’agit de photos peintes ou repeintes, ni non plus de photographies retouchées. Cela ressemble plus à une traduction où l’on passerait d’une langue à l’autre, voire même d’un langage à l’autre, de celui mathématique des capteurs, de la mosaïque de Bayer et de la science des couleurs à ce langage bien différent qui est le regard des peintres.
Ce que je produis est un art numérique puisqu’il n’est réalisable qu’avec un équipement informatique. Ce qui est produit – l’image résultante, le ‘’tableau’’ – est un objet éternellement flottant entre une impression photographique et picturale. Et ce flottement particulier est justement notre regard. Le thème général de mes œuvres, que les séries soient consacrées à des arbres, des fleurs, des animaux, des paysages ou des natures mortes, est bien cet étrange objet que l’on nomme ‘’regard’’.

Il faut revenir bien en arrière dans l’histoire de la peinture pour essayer de saisir ce concept.

Admettons d’abord que tout le monde puisse faire la différence entre une peinture et une photographie. Peut-être qu’une intelligence artificielle y arrivait aussi à force de la gaver d’images des deux genres. Pourtant peinture et photographie sont historiquement indiscernables, et si on voulait prouver le contraire, il faudrait démontrer que l’histoire de la peinture ne puisse être conçue que comme résolument indépendante de celle de la photographie.
David Hockney dans ‘’Savoirs secrets’’ puis ‘’Une histoire des images’’ a clairement montré que le recours à l’optique dès Van Eyck a fait évoluer la représentation en passant de la réalité telle qu’elle est perçue avec deux yeux en mouvement permanent, à l’observation d’une image fixe via la projection d’une lentille ou d’un miroir sur une surface plane. Cette médiation essentielle de l’image, où l’importance de la lumière et des ombres devient cruciale au même titre que le point de vue unique, fait que la peinture relève d’une technique pré-photographique via le recours à l’optique au moins quatre siècles avant l’invention d’une pellicule capable de fixer l’image formée derrière la lentille.

Van Eyck ou Vermeer, au même tire de Caravage et des centaines d’autres sont-ils donc des photographes avant l’heure ? Oui si on admet qu’ils auront été aux prises avec leurs lentille, éclairage, cadrage et composition d’objets et personnages au même titre qu’un photographe. Soit dit en passant les premiers photographes ont travaillé comme des peintres en atelier en ‘’sur-composant’’ leurs images, en ajustant les poses et directions de lumière jusqu’au moindre pli de tissu. Puis la photographie est devenue plus instantanée et par porosité les peintres ont utilisé leurs chevalets comme des dispositifs de cadrage. Regardez la peinture impressionniste – je pense par exemple à Joaquin Sorolla ou Auguste Renoir – et voyez comment leurs tableaux sont ‘’cadrés’’ : pas composés selon des lois de la perspective ou du nombre d’or, mais juste c-a-d-r-é-s comme le fait un bon photographe face à son sujet.

Pour revenir à nos peintres classiques, bien sûr qu’ils sont des peintres – et même des maitres – même si un de leurs petits secrets serait la maitrise de l’optique. Aucun d’entre eux n’a considéré de descendre la touche minimale à la taille d’un pixel (il n’y a pas de ‘’loupe’’ ou de zoom en peinture !). Le regard n’a pas besoin du pixel. Le niveau de détail d’un tableau est dépendant du regard seul, pas d’une construction mathématique. Le pixel est une absurdité conceptuelle dans la représentation qui nait des nécessités du dispositif technique (en photographie argentique, cela revient au même avec les grains d’argent, ancêtre chimique du pixel). Il n’y a ni pixel dans le réel, ni au fond de notre rétine.

Plein champs - Arbre dans la brume - 90x60 cm tirage pigmentaire sur papier Hahnemühle Fine Arts - Pierre-Marie Fenech

Quand je substitue aux pixels les touches, suis-je alors un peintre ? Non, je suis un artiste numérique et cela vient du fait qu’étant photographe d’une part, et grand amateur de peinture de l’autre (dans un très large éventail de l’histoire de l’art du 15ème au 20ème siècle), mon amour véritable est la peinture. Ayant de surcroît un (long) passé professionnel dans le monde de l’image (vidéo, image de synthèse et animation 3D), ma tekhnè artistique est largement plus du ‘’côté obscur de la force’’, celui des logiciels de l’image numérique, que des brosses et des tubes de couleur.

Ma technique est mixte pour certaines de mes œuvres avec un recours à la peinture acrylique ou l’aquarelle. Dans ce cas, il s’agit d’un travail de compositing numérique entre les éléments photographiques d’origine et des ‘’passes’’ de peinture acryliques préalablement scannées. Mais pour la plupart de mes œuvres, c’est du ‘’digital painting’’ en partant de mes photographies originales, et en appliquant les touches avec des pinceaux numériques (il en existe des milliers) à l’aide d’une palette graphique. Ce travail initial sur les touches s’accompagne de la transformation du spectre de couleurs de la photographie initiale vers une palette colorimétrique propre à la peinture. Je peux aussi déplacer des éléments, choisir de ‘’styliser’’ certaines textures. De même certaines propriétés photographiques comme le flou doivent être traduites picturalement, ce qui m’amène à transformer la profondeur de champ en perspective atmosphérique (technique picturale qui consiste à marquer la profondeur de l’espace par le dégradé progressif des couleurs et l’adoucissement progressif des contours). Enfin les micro-détails dont toute photographie pullule bien inutilement sont très atténués, le plus souvent effacés. Les peintres n’ont jamais peint ces détails, tout comme ils ont ignoré les ‘’pixels’’.

L’oeil (du moins celui de l’occidental) s’est formé à une image ayant des propriétés que seule l’optique peut lui donner. Les premiers spectateurs qui à l’aube du XIXème auront vu des daguerréotypes n’ont peut-être pas été aussi surpris que ce à quoi on aurait pu s’attendre. Sans doute auront-ils été davantage subjugués par la présence de certains détails, la complexité des ombrages et du jeu de la lumière, voire un certain chaos de l’image. Mais certainement pas par la structure visuelle de ce qu’ils voyaient sur ces premières photographies en tous points identique à la représentation des peintres depuis la Renaissance. Toute l’histoire de la peinture s’est sédimentée dans notre regard par les apports de tous les peintres et grandes époques constitutives de l’histoire de l’art, tant dans des mouvements de tradition que de révolution.

Le travail que je fais sur ‘’l’image’’ – j’aimerais d’ailleurs autant être vu comme un ‘’imagiste’’ qu’un artiste numérique – consiste à jouer entre les images de la peinture et celle de la photographie, le mot image désignant ici l’objet de notre regard, ou comment notre regard se chosifie en une image. Le propre de cette ‘’image’’ est de flotter du fait de la confrontation de deux forces opposées : la peinture est un art pré-photographique par le recours très ancien à l’optique dans la médiatisation du représenté, et pourtant la peinture n’a jamais structurellement tenu compte des pixels qu’ils soient numériques ou argentiques – qui sont eux essentiels à la représentation photographique. C’est cette aporie qui fait flotter notre regard, et c’est au final ce flottement que j’essaie de ‘’peindre’’.